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Emmanuel Mounier

17 août 2014 By

Une voix pour aujourd'hui (un salut à Guy Coq)

La voix de Mounier!

Alors que bien des enregistrements des années 40/50 du siècle dernier nous paraissent venus d'un autre temps, le seul que j'aie entendu de lui était, par le ton, le style, l'élocution, étonnamment actuel. C'était comme s’il était là et me parlait directement. Il dit d'ailleurs quelque part: ce qui comptera dans nos vies, ce n'est pas d'avoir fait ceci ou cela, c'est d'avoir été là.

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Quel don de présence il devait avoir, d'ailleurs, pour, à 27 ans, convaincre tant d'autres personnes venant d'horizons différents, catholiques, protestants, agnostiques, de se lancer dans l'aventure d 'Esprit, un mouvement et une revue ! Michel Winock a bien retracé l'histoire de ces « intellectuels dans l'histoire » qui ont pressenti avant bien d'autres les problèmes de leur temps, qui sont encore un peu les nôtres. Dans les années trente, leur analyse spirituelle de la crise pointait déjà la question de l'individualisme, lié à une vision « bourgeoise » de la société et au « désordre établi » que Mounier et les siens désignaient comme la première des violences. La réponse était le personnalisme communautaire qui voyait l'être humain comme relié avant d'être une monade séparée. Le premier édito de Mounier dans Esprit est un manifeste, un appel à refaire la Renaissance, qui serait d'abord spirituelle.

Comme animateur aux Equipes Enseignantes, je ne voudrais pas oublier que le premier engagement de Mounier a été auprès des Davidées. Fondées par Marie Silve, les Davidées réunissaient des chrétiennes, institutrices dans l’Enseignement public, qui voulaient conforter leur foi dans cette situation qui n’était pas facile à l’époque : suspectées par les laïques, non reconnues par l’Eglise, elles apprendront, comme plus tard les membres de la Paroisse Universitaire et des Equipes Enseignantes, a conjuguer leur fidélité à l’Evangile et leurs convictions laïques. C’est Jean Guitton qui a entraîné Mounier dans ce compagnonnage.

En plus du drame personnel dont je reparlerai, la défaite de juin 40, a été pour Mounier un déchirement. Fallait-il, dans ce contexte, continuer à paraître et donner une caution au nouveau régime? Ce fut aussi un peu une déchirure dans l'équipe d'Esprit, quand Mounier a décidé de continuer alors que d'autres s'y refusaient. Mais la vérité s'est faite d'elle-même : à force de ruser avec la censure, au risque de paraître donner des gages à la Révolution Nationale de Pétain, Esprit a fini par « décevoir » le nouveau pouvoir et être interdit. À la même époque, la revue des Annales a choisi de paraître sous un autre titre, en demandant à Marc Bloch d'écrire sous un pseudonyme, ce qui a été l'occasion d'un âpre débat avec son ami Lucien Febvre. Tout cela nous fait approcher la difficulté, à l'époque, de faire des choix justes sans se trahir.

En témoigne aussi l'aventure de l'école d'Uriage. Un militaire maréchaliste, Dunoyer de Segonzac, a cru vraiment à la nécessité de régénérer les élites françaises qu'affichait le nouveau pouvoir. Avec quelques autres, il a initié un nouveau style de formation qui mêlait les interventions intellectuelles à la pratique du sport, à l'attention à l'art et à la littérature. Qui laissait aussi la place au débat. Mounier a été de l'aventure. Très vite, la présence de celui-ci et d'autres a rendu suspecte aux yeux de Vichy l'école d'Uriage. D'autant que la présence de l'abbé Naurois, qui avait vécu en Allemagne avant la guerre, y a tout de suite aidé à percevoir la vraie nature du nazisme. Vichy a fermé Uriage et beaucoup des jeunes formés à Uriage sont passés dans la Résistance. Naurois a d'ailleurs raconté dans ses mémoires son débarquement en Normandie, en juin 44, comme aumônier d'une unité française, au plus près des combattants, mais, je crois, à peine armé. (Pour une étude fiable sur Uriage, voir Bernard Comte).

À la même époque, Marcel Légaut, a pris conscience de la grave insuffisance de la formation des élites (« Vous savez, en 40, j'étais à l'État Major »). Après avoir négocié le droit à une retraite de professeur d'Université pour ses vieux jours, il s'est retiré dans le Diois pour devenir paysan et berger. Son projet était aussi de proposer aux étudiants de travailler à la ferme en même temps qu’ils se formeraient en fac – au moins pendant les vacances. Sur ce plan-là ce fut plutôt un échec, mais, après un long et parfois douloureux « ensevelissement », auquel renvoie un chapitre de Travail de la foi, intitulé « l'échec à la dimension de toute une vie », cette aventure spirituelle a fini par porter ses fruits. Dans les années 70, L'introduction à l’intelligence du passé et de l’avenir du christianisme a eu un certain retentissement et a marqué profondément toute une génération de chrétiens. (« Mon éditeur a voulu faire une bonne action et, finalement, il a fait une bonne affaire »).

Avant de revenir à Mounier, je voudrais souligner que cet appel à une formation vraiment humanisante des élites, que voulait peut-être aussi Jean Zay quand il a fondé l'ENA (ou son ancêtre), mériterait d'être à nouveau entendu aujourd'hui, où je crains que Sciences PO et l'ENA, ne suscitent un nouveau triomphe de la rhétorique, comme à l'époque des sophistes athéniens.... A moins qu'on n'assiste au triomphe des commerciaux – ou autres financiers...

Mounier a fini par être arrêté. En protestation, il commence une grève de la faim. Ce qui lui vaudra aussi d'être privé d'eucharistie par les autorités ecclésiastiques. Heureusement, il sera soutenu par le Père de Lubac. On finira par l’acquitter, et Mounier sera libéré. Jusqu'à la fin de la guerre, je crois, il se consacrera à l'approfondissement de son travail intellectuel, pour préparer la suite.

Mounier a-t-il été un crypto-fasciste, comme l'en accusent certains? Dans la déception démocratique de la troisième république, où le parlementarisme décevait beaucoup de gens, Mounier voulait sans doute autre chose que la démocratie telle que vécue à l'époque. Mais, s'il a pu écouter les sirènes du fascisme italien à de certains moments, je pense qu'il ne souhaitait pas moins de démocratie, mais une démocratie réelle délivrée du « désordre établi » et de l'individualisme « bourgeois ». Claude Roy a témoigné dans ce sens.

Ce n'est pas ici le lieu de traiter à fond cette question (je renvoie à Winock). Je voudrais plutôt évoquer l'Affrontement chrétien. Je ne sais plus si c'est dans ce livre ou ailleurs que Mounier rappelle que Jésus a dit « aimez vos ennemis » et non « n'ayez pas d'ennemi ». Ce qui nous protègerait de la tentation d'aller au conflit « une rose à la main », comme on l'a reproché aux chrétiens. Ce dont je me souviens c'est que Mounier critique vivement – et d'une plume réjouissante - l'éducation donnée aux jeunes chrétiens de son temps qui, selon lui, sont loin de faire le poids devant les autres militants de l'époque, communistes ou fascistes, tellement plus « virils ». Mais, et je me souviens d'en avoir été bouleversé, Mounier continue par un merveilleux éloge de la tendresse qui rétablit à bon escient un équilibre plein de santé.

Évoquons encore d'autres engagements de Mounier qui témoignent d'une clairvoyance de fond, malgré quelques errances peut-être. Contre le colonialisme, très tôt, alors que la plupart des Français, ne se posaient guère de questions sur ce plan. Contre l'esprit de revanche. Mounier et Esprit, je pense, n'ont pas été pour rien dans ce miraculeux retournement de l'après-guerre, je pèse mes mots, quand la jeunesse, au moins dans une forte minorité éclairée, s’est détournée de l’esprit de revanche et a mis fin à cette interminable « guerre civile européenne » qui a fait tant de mal à ce continent.

(À la fin de la guerre, Jean Castelein, sous-officier de l’armée française d’occupation, surprend quelques soldats prêts à brûler les photos de la famille allemande qui les logeait. Son intervention décisive fut le début d’une longue amitié avec les membres de cette famille. Lui-même raconte, à propos d’une autre famille allemande : quand je suis allé réquisitionner ma chambre, la femme qui m’a accueilli m’a dit, avec beaucoup de dignité : j’ai deux chambres libres, celle de mon fils mort en France, celle de mon gendre, mort sur le front russe).

Enfin, malgré la tentation de se laisser fasciner, comme tant d'autres, par le « parti des fusillés », par les communistes, Esprit a entendu les voix discordantes comme celle de Victor Serge ou d'autres qui dénonçaient le totalitarisme. Il a fallu à tant d’autres l’écrasement de la révolte hongroise, puis le rapport Kroutchev, puis la fin tragique du « printemps de Prague », puis Soljenitsyne et Sakharov, etc., pour commencer à ouvrir les yeux!

Enfin, si Mounier a profondément voulu désolidariser l'Eglise du « désordre établi », s'il voulait qu'on ne mette pas sous le boisseau la parole des communistes, il n'a jamais été un progressiste au sens précis du mot. Il n'a jamais confondu lutte pour une société plus juste, pour le personnalisme communautaire, avec l'attente du Royaume des cieux. Ce qui ne signifie pas non plus séparer ces deux dimensions du réel : le rédempteur est le créateur.

Je voudrais citer ici un événement significatif. On se doute que les prises de positions d'Esprit n'ont pas toujours été du goût du Vatican. Mais cette revue qui était d'inspiration chrétienne ne prétendait pas parler au nom de l'Église...

Enfin, quand les menaces de condamnation se sont faites plus précises, Esprit a proposé ou fait mine de confier la direction d'Esprit, au protestant Ricœur, ce qui tout arrêté.

Je voudrais enfin mettre l'accent, autant que possible, sur le secret de la liberté de Mounier.

D'abord, après plusieurs projets de thèse, Mounier a fini par renoncer à toute perspective de carrière pour se lancer dans la fondation d'Esprit, avec l'accord de sa femme Paulette et son soutien financier provenant de richesses familiales (certes pas une fortune), et en acceptant d'enseigner ici ou là, selon les opportunités...Paulette Mounier a témoigné de tout cela, il y a dix ou quinze ans, dans une très belle émission de France Culture. La liberté de Mounier, c'est d'abord le courage de larguer les amarres.

C'est aussi une vie de relation très riche, comme en témoigne, l'achat de la propriété des « murs blancs » à Châtenay-Malabry, où les animateur d'Esprit (Domenach, Ricœur, Fraisse...) mèneront une vie communautaire très active, mais qui a laissé, je crois, un souvenir mitigé dans la génération des enfants... (Un témoignage comme celui de Virginie Linhart sur les enfants des soixante-huitards, ou une enquête historique mériteraient d'être écrits.)

Sur ce goût de la relation, j’évoquerai aussi ce souhait, exprimé une fois par Mounier, de pouvoir, au gré des rencontres, aborder un inconnu, et continuer avec lui sa conversation intérieure.

Mounier a eu aussi un souci constant de se doter d'une solide culture théologique.

Enfin, c'était un grand spirituel. En témoigne la façon dont il a, si l'on peut dire, donné sens à la terrible maladie qui a soudain handicapé sa fille, très jeune encore. Il a écrit des lettres étonnantes à sa femme. Dont certaines sont d'ailleurs à la limite de nous scandaliser – quand il compare la présence de sa fille dans leur vie à celle de l'hostie – mais qui avaient pour ce couple encore jeune, un sens non morbide et qui ouvraient, je crois, un chemin de vie. Plus compréhensible - mais encore - que dans la circonstance qui était celle de la débâcle, il ait pensé que sa souffrance devait se fondre dans celle de tout un peuple. Peut-être sommes-nous trop médiocres pour faire autre chose que d'entrevoir la vérité de tout cela. Ce dont je puis témoigner, c'est que, dans certains moments difficiles de ma vie, j'ai été soutenu par cette affirmation: c'est maintenant que je vais devenir véritablement un père.

 

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