Certains enseignants les vivent sereinement dans l’attente bienveillante de ce qui va advenir, d’autres éprouvent une certaine appréhension voire de l’anxiété, d’autres encore sont pleins de dynamisme et de projets et attendent rivés sur leur starting block le coup d’envoi qui les propulsera dans une année qu’ils espèrent haletante et productive, sans compter les nonchalants (ils existent), les insatisfaits, les lassés et bien sûr ceux qui débutent et ignorent ce rituel qu’ils vivront à l’identique durant leur carrière à moins d’une réforme qui en brise les conventions : discours du proviseur/principal, bilans de l’année précédente, consignes administratives déjà connues, présentation des nouveaux, repas du midi dans une cantine transformée pour un jour en restaurant gastronomique avec vins pétillants et plats recherchés (il faudra attendre Noël pour avoir cette qualité, mais dans une ambiance autre). Même l’informel n’échappe pas au rituel : le brouhaha de la salle des profs qu’on entend déjà depuis le hall d’entrée, puis le tableau des groupes agglutinés qui se racontent leurs vacances ou s’enquièrent des études des enfants, de la santé des conjoints, mais aussi les individus oubliés qui ne savent pas trop quelle contenance adopter tant on les ignore, à moins qu’une bonne âme daigne s’intéresser à eux pour quelques secondes, vite reprise d’ailleurs par un collègue qui l’entraîne dans une conversation dont le pauvre nouveau est exclu tandis que les anciens esquissent entre eux des clins d’œil ou des regards complices. On oublie trop ce que peut avoir de cruel une rentrée pour quelques-uns…
Mais que vaut tout cela dans la durée d’une année ? Une rentrée, n’est-ce pas la prise en charge des classes, les premières impressions, qui d’un côté comme de l’autre, élèves et enseignants, imprimeront leur marque pour l’année ? Mais il en va de la rentrée comme d’une baignade de grandes vacances sur les côtes car on entre dans l’année scolaire comme on entre dans la mer. Chacun a sa façon. Les timides se mouillent progressivement les pieds, le ventre, la poitrine puis le cou et glissent ainsi progressivement dans l’eau salée ; d’autres, bien décidés, courent depuis la plage pour se jeter franco dans l’élément liquide. Mais l’essentiel est d’y rester et de nager en s’adaptant aux vagues, aux vents, aux courants et de progresser loin du rivage ou parallèlement à lui, d’être au cœur de l’eau pour vivre pleinement le plaisir et la détente physiques, loin des records olympiques. Peu importe en somme la façon d’entrer dans l’eau, l’essentiel est d’y être et d’en faire quelque chose.
Et ce quelque chose d’essentiel à nouveau dans ce début d’année, c’est la prise de conscience que durant un an nous devrons nous glisser dans une eau sans doute plus agitée et fatigante que celle des vacances, en fonction des classes ou des heures de la journée. Il s’agira de nager au cœur d’un élément beaucoup plus complexe que l’eau, c’est-à-dire au cœur d’une relation entretenue semaine après semaine avec des enfants différents, pas toujours intéressés, fixés sur l’instant, qui ignorent à quel point ils sont travaillés par le temps et des influences qui les transforment. Si la biologie relève d’une involontaire fatalité, la maturation intellectuelle et morale, elle, relève des capacités de nos élèves à s’éveiller au travers de multiples rencontres, activités et sources d’intérêts, que l’intelligence et la sensibilité doivent travailler et façonner en une sorte d’architecture intérieure.
Saurons-nous le leur faire sentir, ou mieux, le leur faire désirer ? Tâchons à l’encontre des préjugés ambiants et des autoritarismes trompeurs que ne manqueront pas de véhiculer pouvoir et médias après un début d’été chaotique pour la réputation de la jeunesse, d’établir et de revendiquer cette relation humaine qui est la meilleure garantie du respect, de l’égalité, de la liberté et de la fraternité. Cette dernière valeur est trop souvent négligée par l’effacement de la figure du maître au profit de celle du formateur efficace. Alors oui, creusons ensemble pour cette année cette piste d’un lien possiblement rétabli entre les générations et permettons à nos enfants et jeunes de comprendre qu’ils peuvent eux aussi accueillir et partager nos valeurs de la République. Puissions-nous tous cette année, institution, personnels d’encadrement, agents, professeurs, élèves, envisager le savoir non comme un avoir mais comme une qualité d’être, présente à soi-même et aux autres.
Bernard et l'équipe CdEP d'Angers (49)
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