CDEP
Chrétiens dans
l'enseignement public

Spiritualité et présence en milieu laïque

Publié le

Contribution à la proposition de CdEP,dans la problématique sur la spiritualité.

Je ferai une seule partie joignant expériences et diagnostic, puis ferai quelques propositions.

Quelques souvenirs remontant tous au-delà de 12 ans :

  1. Comme père d'élèves en lycée public, j'ai plusieurs fois été choqué que des professeurs se déclarent athées devant toute la classe, sans plus, alors qu'un de mes amis, par ailleurs responsable du SNES se présentait à sa classe, au début de l'année scolaire, comme « catholique de gauche », pour que ses élèves puissent savoir d'où il parlait, précisait-il.

  2. Un jour, dans la salle des profs de mon collège, un de mes camarades syndiqué (SNES) nous recommandait de nous méfier de la présidente des parents d'élèves et déléguée au CE, car elle était une « apparatchik » du diocèse. Le lendemain, le secrétaire de notre section me demandait si je n'avais pas été trop choqué de cette mise en garde, s'excusant presque d'avoir laissé passer... quand cette déléguée, en fin de mandat aux parents d'élèves, a quitté le CE, c'est le même camarade syndiqué qui a proposé de lui offrir des fleurs...

  3. En classe de latin en 3°, un élève s'est étonné publiquement que l'on puisse encore croire en des niaiseries comme les miracles. Conscient de la gêne de certains élèves, je me suis contenté de dire que dans une école laïque on était tenu de respecter les croyances des uns et des autres. J'ai vraiment regretté de ne pas avoir fait une réponse plus personnelle, mais étais-je en droit d'aller plus loin ? Je continue à penser qu'une vraie laïcité ne s'y opposait pas, sans en être sûr ; sans bien savoir jusqu'où j'avais le droit d'aller dans le témoignage personnel. Je pense que j'aurais pu dire que parmi les croyants il y avait des intellectuels de premier rang qui pensaient intelligemment leur foi, et peut-être même aussi certains de leurs profs.

  4. Comme professeur de Latin, j'ai monté toute une séquence sur les chrétiens dans l'Empire romain (Tacite, Pline le jeune, Minucius Felix, mais aussi Burgess : Le temps des mécréants et le film Quo vadis ? ), sans avoir perçu la moindre critique venant de parents d'élèves, même de ceux de mes collègues qui avaient leur enfant dans ma classe. Je ne sais pas si un professeur non-croyant aurait présenté une telle séquence – mais j'ai bien précisé à mes élèves qu'il ne s'agissait pas de catéchisme mais de culture littéraire et historique.

  5. Comme membre d'un groupe de recherche au CRDP, travaillant dans le ligne Mérieu, je me souviens qu'en présentant notre travail à une séance du CRDP ouverte au public enseignant, j'avais parlé de nos « valeurs », j'avais, sans plus de précision, témoigné que nous partagions les même valeurs, même si les sources de nos valeurs étaient diverses...

Je tire plusieurs conclusions de ces expériences.

D'abord que des enseignants, sans avoir conscience d'être agressifs, peuvent outrepasser un devoir de réserve, et miner les convictions de leurs élèves, dans un milieu de jeunes où être croyant ou même avoir des préoccupations spirituelles n'est pas si facile. Pour avoir accompagné des jeunes dans leur préparation du bac, je ressens que pour la plupart des jeunes la foi chrétienne est de l'ordre de l'impossibilité culturelle.

Ensuite que, sans avoir eu conscience d'affirmer sa foi – sinon en communiant lors des enterrements -, on peut être perçu par ses collègues comme chrétien et respecté comme tel.

Notre présence de chrétien ( à mon avis un peu trop discrète, mais peut-être est-ce mieux ainsi) est capitale pour donner un peu d'air au climat « spirituel » de nos écoles publiques.

 Accessoirement, on est parfois gêné d'être en concurrence avec des écoles catholiques qui se donnent des facilités pour « réussir » mieux que nous. Aujourd'hui c'est devenu un lieu commun que l'école catholique est une meilleure école... mais à quel prix évangélique... quand elle permet surtout l'évitement des plus pauvres.

 

L'essentiel de ce que j'entrevois n'est pas encore dit : il y a, de commun entre certains chrétiens et certains athées ou agnostiques, ce que l'on appelle maintenant le « spirituel », qui est approché aussi bien par des incroyants que par des chrétiens et que l'on pourrait appeler l'ouvert : à la fois attention au spirituel dans le sensible, ce dont témoignent certaines œuvres d'art musicales ou plastiques, mais aussi des façons toutes simples d'être créateur dans sa propre vie et de sa propre vie , une certaine « foi poétique » et une ouverture à l'autre avec une dimension de générosité et d'espérance, et le souci de la maison commune.

Tout ceci, qui échappe à la raison calculatrice et au souci de la performance, pourrait être partagé dans l'école publique par tous ceux, croyants ou non, qui ont en commun cette conception de l'homme et cette exigence qui favorisent l'éclosion de l'humain dans l'homme et le petit d'homme. C'est de ce type de convictions que l'enseignement a besoin, dans le public comme dans le privé d'ailleurs...
(Il y a eu sur ce sujet un dossier annuel des groupes secondaires, auquel j'avais participé, avec un article intitulé : Le spirituel... le cœur ouvert de l'homme)

Quelles propositions ?

Les chrétiens dans l'enseignement public devraient s'interroger eux-mêmes et s'encourager à œuvrer avec cet horizon, témoignant qu'il y a moyen d'être porté par sa foi, non vers des affirmations identitaires de sa différence, mais vers une capacité de trouver le souffle si nécessaire aujourd'hui pour affronter avec d'autres les défis du monde qui vient.

Les communautés chrétiennes et leurs responsables devraient davantage faire confiance aux institutions éducatives de la république, même en étant lucides sur leurs manques, au moins savoir qu'il y a des chrétiens dans l'enseignement public.

Qui est, comme moi, assez vieux pour se souvenir qu'à certaines époques l’Église de France témoignait publiquement de son respect pour l’Éducation nationale, et peut-être se souciait davantage de l'accompagnement spirituel des chrétiens qui y étaient engagés professionnellement ou dans l'aumônerie... ?

On devrait éventuellement rappeler que des personnalités comme Mounier et Marrou, par exemple ont œuvré à acclimater la laïcité dans l’Église et, pour Marrou, le culture chrétienne dans l'université. On devrait réfléchir sur ce que signifie « l'exculturation du christianisme », d'où cela vient, et les initiatives et les remises en question que cette situation devrait susciter. Certains auteurs ont dénoncé le « silence religieux » qui règne dans la culture sur toutes ces questions, et qui grève lourdement la cohabitation des groupes humains dans nos sociétés (on devrait pouvoir parler d'ailleurs de communautés, comme y autorise la commission Stasi, mais c'est devenu politiquement incorrect).

Mais bon, ce n'est pas de consolations que nous avons besoin, mais de ressources théologiques, spirituelles, humaines, pour engager une réflexion sur ce que la société attend de son école, sur les efforts qu'elle est prête à consentir pour sa réussite, pour entreprendre, au cœur des tâches d'enseignements et au-delà d'elles, une tâche d'initiation à l'humain que nous sentons tous si nécessaire, à laquelle nous essayons de nous consacrer, et qui est devant nous comme un apprentissage à faire ensemble... et merci aux SSF de travailler sur ce chantier.

Dans ce chantier, pourquoi ne pas ouvrir, à la base et au sommet, des ateliers sur les programmes (ou les activités) qui nous semblent de nature à apporter une nourriture spirituelle au sens large, en étant aussi à l'écoute de ce dont les élèves pourraient témoigner sur ce qui dans leur culture est source de vie en plénitude.