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mardi, 28 juin 2011 07:57

Nouveaux programmes et théorie du genre

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Dans le cadre des polémiques de 2011 sur l'introduction de la "théorie du genre" au lycée, la réaction d'une prof de base. 

Alors que je commence l'écriture de cet article, l'invité du 20h s'avère être Christine Boutin, candidate pour 2012, plaçant en substance, dans les 3 mn d'interview qui lui sont consacrées, qu'il est temps de remettre au centre les vraies valeurs de la famille « on ne peut pas envisager des enfants ayant 2 papas ou 2 mamans », de revenir à l'uniforme en classe etc .. Faut-il y voir un lien avec la polémique qui enfle sur les nouveaux programmes de L et ES ... ? Oui, le thème fait recette. Curieusement d'ailleurs, puisque cela fait des années que dans le programme de SVT de terminales S nous parlons de la différenciation sexuelle et des phénomènes biologiques responsables de la transformation d'un embryon indifférencié en fille ou garçon ? Certes, les éditeurs, s'étaient moins « lâchés » sur les notions d'homosexualité, désir et pratiques sociales diverses selon les sociétés dans les livres de terminale S...

Rappelons le contexte qui prédomine : l'enseignement des SVT en L et ES chute pour les élèves de 1,5h par semaine à 45 minutes par semaine, en classe entière de 30 à 35 élèves. Il y a 3 thèmes au programmes (représentation visuelle, Nourrir l'Humanité, féminin/masculin). Nous avons évalué avec mes collègues que nous aurions 1h par semaine de SVT à enseigner des vacances d'automne à la fin Mai ( afin de résoudre le problème des 45 mn hebdomadaires) et donc 6 à 8 semaines à consacrer par thème, après prise en compte des semaines de bac blanc, des jours fériés... Je rappelle qu'en classe de première, il n'y a pas de philosophie mais seulement du français comportant des études de passages autrement plus sulfureux que les paragraphes incriminés dans nos livres de SVT.

Donc 8 semaines à prévoir sur le thème féminin/masculin... voilà où nous en sommes aujourd'hui, quelques semaines avant de se plonger dans la préparation de nos nouveaux cours. Un professeur qui prépare ses cours s'appuie, comme il l'a appris, sur le programme paru au bulletin officiel (et non sur les manuels).

Que dit le programme ? En introduction : que ce thème sera l'occasion d'affirmer que si l'identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l'orientation sexuelle appartient à celle de la sphère privée. Pas de problème donc, cela permettra au professeur pressé de botter en touche sur ce qui pourrait être gênant à aborder, ou sur les blagues lourdes de certains adolescents... OK pour parler des stéréotypes en sciences économiques et sociales comme par exemple du fait que les femmes soient moins payées que les hommes, par contre, les modalités de la sexualité (hétéro, homo, bi..), c'est de l'ordre du privé, donc exit la question...

Dommage, il aurait pu être clairement noté comme postulat qu'il était nécessaire de respecter la vie privé des autres, et que nos jugements partaient de postulats culturels, religieux...

Dommage, il aurait pu être évoqué que des hommes ont été exécutés pour homosexualité.

Dommage, il aurait pu être évoqué qu'un viol n'est pas du domaine privé.

Dommage, il aurait pu être précisé que la liberté n'est pas de faire n'importe quoi avec n'importe qui, qu'il existe des lois, qu'il existe dans les relations sexuelles un postulat de départ : celui du consentement mutuel et que dire non ne sous-entend pas dire oui !

La première partie de ce chapitre porte sur la prise en charge conjointe et responsable de sa vie sexuelle, pilules, IVG, procréation médicalement assistée, avec les discussions afférentes sur la législation, l'éthique et l'état des connaissances médicales... Cela fait longtemps que l'on gère ce contenu d'enseignement .. et qu'il ne pose « pratiquement » jamais problème, bien qu'un sujet en première L sur l'IVG, il y a quelques années avait suscité la réaction, encore, de Madame Boutin et de ses ami(e)s.

Ce qui poserait plutôt problème dans le domaine est l'application de plus en plus difficile de la loi Veil sur l'avortement dans les hôpitaux français et l'extinction des plannings familiaux.

La 2eme partie porte sur « devenir homme ou femme » ; vu la complexité de cet enseignement en terminale S actuelle, il va être question de faire comprendre à des élèves non scientifiques comment la présence d'un gène sur le chromosome Y permet une chaine de réactions, notamment hormonales, faisant régresser ou apparaitre certains canaux de l'appareil génital indifférencié de l'embryon de départ, permettant le passage à une anatomie d'homme ou de femme, transformation leur donnant leur identité sexuelle.  Ensuite nous devrons définir ce qu'est l'orientation sexuelle et rappeler qu'elle relève de l'intimité des personnes, chose non inutile de nos jours lorsqu'on voit comment l'intimité d'un élève peut être étalée sur Facebook par lui-même ou ses camarades ou celle des professeurs fantasmés sur les mêmes réseaux.

La 3eme partie est intitulée « vivre sa sexualité », et son contenu concerne la notion de plaisir et l'activation du système de récompense cérébral et se terminera sur le fait que chez l'Homme avec un grand H, le contexte culturel, les facteurs affectifs et cognitifs ont une influence majeure. Cela permettra donc de rappeler que si l'Homme est un animal (ce qui choque beaucoup les élèves), il sait se contrôler (en principe !) et apprendre.

Donc, comme tout prof s'appuyant sur le programme, je ne vois pas ce qui est source de polémique dans ce que je vais devoir enseigner. Seul le titre : féminin/ masculin est inadapté à un programme qui reste bien à la base un programme de sciences et il ne préfigure pas trop le contenu.

Ce n'est donc pas le programme qui pose problème mais les ouvrages scolaires... Les professeurs se limiteront au programme...

.... Mais évidemment les élèves pourront ouvrir leur livre ( ce qui leur arrive rarement) et y lire des choses que certains trouvent choquantes ( en tout cas, plus que dans les pages des « sous-vêtements féminins » de la Redoute, dans les fresques de Pompéi ou dans des passages faisant référence à des prostituées dans la Bible, ou à Abraham ayant un fils avec sa servante avant de la répudier).

Certains éditeurs vont plus loin que d'autres sur ce qui n'est que l'introduction du programme à savoir « ce thème sera l'occasion d'affirmer que si l'identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l'orientation sexuelle est celle de la sphère privé. », Pourquoi ? Je ne sais pas, des lobbys seraient-ils à incriminer, mais alors lesquels ?

Les différents éditeurs en font plus ou moins sur cette introduction au programme : de l'affiche qui est devenue complètement conventionnelle dans les lycées au moins d'Ile-de-France de lutte contre l'homophobie (plus ou moins évoquée dans le cadre des préventions mises en place par le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté dans les établissements), aux différences culturelles qui vont amener une femme  eskimo à être « mise à disposition des hôtes de passage », à une femme d'une autre culture à faire apparaitre ses seins considérés ou non comme organes sexuels, etc.

Concernant la lutte contre l'homophobie, c'est une nécessité et cela s'impose encore plus qu'ailleurs dans certains quartiers ou dans certaines campagnes.

Concernant les références à d'autres cultures, sans être prof de sociologie, je trouve intéressant de montrer à nos ados qui ne voient pas toujours très loin que la tolérance, ça existe, que ce qui choque chez nous, ne choque pas ailleurs et vice-versa... au même titre que ce qui dégoute ou non en matière d'alimentation (manger des insectes, des grenouilles, des escargots...), sachant encore une fois qu'il importe d'être consentant et maître de ses choix.

Le seul point qui semble poser problème est la notion de genre, amenée par les éditeurs sous couvert d'information sociologique et jamais citée dans les programmes : les professeurs de SVT n'ayant pas de formation en sociologie, je doute qu'ils aillent aborder ce thème... En tout cas, je ne pense pas qu'ils s'y aventurent. Alors pourquoi ces encadrés sur la théorie sociologique du genre dans les livres, d'où cela sort-il, qui est derrière ? Je ne sais pas. En tout cas, ce n'est pas au programme, et donc ça ne sera pas traité dans mes 24h de cours/année !

Je terminerai par l'inquiétude qu'on peut entendre sur le fait que l'on demande au professeurs de biologie de faire autre chose que de la biologie et bien, figurez vous, cela nous inquiète beaucoup et de plus en plus ! Nous sommes las d'être de plus en plus instrumentalisés à faire autre chose que des sciences, à être contraint d'aborder les thèmes à la mode. Et ce n'est pas dans ce chapitre que cela est le plus gênant !

Dans le thème « vision », nous devons faire de l'histoire de l'art car un matin en se rasant, notre président a trouvé ce concept génial, et dans le thème « nourrir l'humanité », nous voilà agronomes, à parler des engrais,  des moyens d'augmenter les rendements d'un agrosystème, de développement durable, alors que les élèves ne connaissent même pas la physiologie d'un végétal ( et là, nous y sommes obligés, car c'est au programme, paru au BO )... Donc ce qui est grave pour nous n'est pas forcément là où cela fait le plus de bruit... Et je ne parle pas de nos 45 mn de cours hebdomadaires !

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