Des élèves en situation d' abandon, en souffrance, en déshérence ...
mai 2017
Est-ce parce que j'ai (depuis peu) un adorable 'tit Toutou que le cas de cet élève m'évoque irrésistiblement ceci ? :
En tout cas, c'est le cœur serré que, rentrée chez moi, je pense à lui... Appelons-le Maxime, il est dans la classe de Seconde dont je suis le PP (professeur principal). Depuis novembre, nous voyons bien que ça ne va pas trop... Il arbore à certaines heures une mine très sombre, il lui arrive de ne pas desserrer les dents, voire d'être prostré en cours. Mais à d'autres moments, Dieu merci ! on le voit aussi sourire ou rire, se comporter comme un élève lambda, dans les couloirs ou dans la cour, avec ses camarades... Néanmoins, il y a des périodes où il semble plonger dans un profond marasme, il a l'air très soucieux, est abattu, s'isole, tient des propos très dévalorisants sur lui-même. Je l'ai pris deux fois en entretien particulier, une autre prof de la classe lui a également parlé ; la CPE l'a reçu deux fois, l'infirmière également... (tout cela étalé sur six mois). Nous sommes toutes inquiètes de ces phases de dépression (j'ose le mot, bien que n'étant absolument pas habilitée à poser ce diagnostic, évidemment) qui reviennent de façon régulière, et semblent de plus en plus profondes ; à mots couverts, il évoque même un total désintérêt pour la vie, pour sa vie ; ne prononce pas le mot de suicide, mais ...
Ses parents sont divorcés depuis plusieurs années, il vit chez sa mère et son beau-père, avec sa sœur (de deux ou trois ans plus jeune que lui) avec laquelle il ne s'entend pas du tout ! Sa sœur est une "frimeuse", selon lui, qui joue et surjoue (toujours selon le ressenti de Maxime) la fille très à l'aise et populaire au collège, bavarde et enjouée, alors que l'aîné a du mal à communiquer. Maxime s'entend bien avec son père, qu'il voit très régulièrement, et même "se sentait bien" chez son père et la nouvelle compagne de celui-ci, qui a deux fils ; le contact passait bien avec ceux qu'il appelle ses "demi-frères", bien que ces trois ados n'aient en fait aucun lien de sang. Seulement le nouveau couple (du côté du père) s'est séparé récemment, et voilà Maxime privé d'une belle-mère qu'il appréciait et de ses deux "demi-frères". Apparemment, ça fait beaucoup pour lui, toutes ces ruptures et séparations. Il en parle le souffle bloqué, avec de brefs soupirs, cette façon de respirer et son ton "lourd" m'évoquent irrésistiblement un haltérophile en plein effort qui tenterait de soulever / porter une charge très pesante !
Sans compter la pression qu'on lui met (côté mère et beau-père, dit-il) mais surtout que Maxime lui-même se met énormément pour être parmi les meilleurs élèves de la classe et "passer en S à l'aise". Quand je lui dis que, vu ses notes, "ça passe", voyons, qu'il n'a pas de souci à se faire de ce côté-là, il me répond qu' "en tout cas, c'est en ne travaillant même pas, ou pas sérieusement, ou au dernier moment", et que donc 1°) il peut ou devrait faire beaucoup mieux côté résultats (quand il a 15, il se désole de ne pas avoir eu 18 !) ; et 2°) son manque de sérieux dans le travail est "lamentable". Il s'en rend compte (dit-il), il devrait ou voudrait s'y mettre, mais il n'y arrive pas : le jeu, la procrastination ou les idées noires l'en empêchent.
Dernièrement, il a tenu des propos inquiétants à une collègue, suffisamment pour que celle-ci, une fois sortie de cours, aille directement dans le bureau de la CPE : « Maxime m'a sorti tout à trac "Madame, je voudrais mourir !" Tu te rends compte ? Il n'avait pas l'air bien, je lui demande à mi-voix ce qui se passe, s'il est malade, et il me sort ça ! tout bas. » D'autre part, sans s'être concertés, à dix jours d'écart, deux de ses camarades de classe sont venus me confier, discrètement, pendant une récréation, combien Maxime les inquiète : « Madame, on ne sait pas comment vous le dire : il ne va vraiment pas bien en ce moment. ». Il est vrai que depuis le suicide d'un de nos élèves l'an dernier [ j'en ai parlé dans ce blog, ici ], tout le monde est "en alerte" au lycée, attentif à ne pas passer à côté d'une détresse, d'une souffrance qui mèneraient tout à coup à un geste fatal...
Une nouvelle fois la CPE appelle le père (car à la demande de Maxime, qui veut "protéger" sa mère, semble-t-il, c'est plutôt lui notre interlocuteur principal) : elle suggère qu'il faudrait absolument mettre en place un suivi "psy" (nous pensons carrément au psychiatre...) ; mais cette fois-ci elle se fait envoyer promener : "ça va bien avec les problèmes de Maxime, ça fait plusieurs années que ça dure ; et puis, depuis le temps qu'il dit qu'il n'a plus goût à la vie, si c'était vraiment le cas, il y a déjà longtemps qu'il serait passé à l'acte...! Allons donc, plus on en parle, et moins c'est sérieux."
Désemparées, ma collègue CPE et moi estimons alors qu'il faut passer au cran supérieur, et nous demandons à la Proviseure de convoquer les parents, tous les deux et ensemble, pour qu'ils "entendent" enfin que tout le monde au lycée est très inquiet, et pour qu'ils nous disent ce qu'ils comptent faire pour aider leur fils (ce n'est pas à la CPE ni à moi de l'emmener chez le psy !). Apparemment, il fut difficile de caler un RV, mais un matin la Proviseure m'envoie un courriel : ça y est, les parents viendront tous les deux, le soir même. Ouf ! Je lui refais un point de la situation (la CPE et l'infirmière en ont fait autant), elle préfère être seule avec les parents pour qu'ils n'aient pas l'impression de se retrouver devant un tribunal ; je lui souhaite bon courage...
Le lendemain matin, je viens aux nouvelles : hé bien ni le père ni la mère ne se sont déplacés vers 18h ou 18h30, comme ils l'avaient promis ; pas d'explication ni de coup de fil ni d'excuse... Les bras m'en tombent !!! Mais quelqu'un s'est quand même présenté au RV : le beau-père. [ je ne résumerai pas l'entretien, confidentiel, et dont je n'ai pas eu toute la teneur d'ailleurs. ]
Il a bien du mérite, cet homme, d'être venu écouter et discuter des problèmes d'un jeune qui n'est pas son fils... je pense à lui avec gratitude... Et qu'est-ce qui peut expliquer l'incroyable légèreté des parents biologiques, qui ne sont pas venus, sans prévenir ; ou alors qu'est-ce qui "pèse" si lourd, qui les enchaîne ou les paralyse, et les empêche de venir discuter de cela ?
Pas simple tout ça... Qui viendra aider Maxime, seul au bord de la route, ou du gouffre ? On est mi-mai, dans un mois la classe et moi nous nous dirons au revoir...
Me revient en mémoire le cas de Céline, il y a bien des années (j'enseignais alors dans un collège rural de province) : je l'avais eue dans "ma" classe de 6ème, plutôt une bonne élève, gentille, sans histoire. Je la retrouve l'année suivante en 5ème, ou plutôt non, je ne la "retrouve" pas du tout : c'est bien le même nom, le même visage, mais plus du tout la même personnalité, elle a beaucoup changé ; et peu à peu, côté scolaire les choses se dégradent : travail pas fait une fois sur deux, insolence par moments, silence buté à d'autres... La connaissant, je me dis que ça va passer (c'est la pré-adolescence !) et je patiente ; puis je finis (en novembre ou décembre) par demander un RV aux parents par l'intermédiaire du Carnet de correspondance. Huit jours plus tard, je reçois ... la grand-mère ! Elle m'explique que, durant l'été, le père de Céline s'est aperçu que sa femme "avait quelqu'un d'autre" : grande explication ! Le couple marchait si mal que... lui aussi "avait quelqu'un d'autre" de son côté ! Du coup les parents se sont séparés assez rapidement et sans trop de casse, apparemment ; et chacun a recommencé une nouvelle histoire... Et Céline ? Fille unique, et qu'aucun des deux nouveaux couples ne tient trop à avoir à temps complet, elle reste chez sa grand-mère, qui perçoit de l'argent des deux parents pour élever sa petite-fille. Les parents la voient de temps en temps (week-ends, vacances...). Pour l'instant c'est comme ça, me dit la grand-mère.
J'étais stupéfaite et atterrée...! Je ne sais pas si la situation a perduré, ni si, lors du divorce officiel, le juge a entériné cet "arrangement" (j'ai été mutée ailleurs à la fin de l'année scolaire).
Pour Maxime, je ne sais que dire ni que penser ; à vrai dire, c'est trop récent pour que j'en sois au niveau "analyse et réflexion" ; j'ai écrit sur le coup, sans recul, comme pour me "purger", pour vider sur le papier (sur le blog) ce trop-plein d'accablement. Et puis je ne veux pas non plus jeter trop vite la pierre à ce père et cette mère (ce serait tellement facile pourtant !) alors que je ne sais pas ce qui se cache derrière cette absence, cette apparente "démission"... On a si vite fait de « juger » sans connaître vraiment "le fond des choses" (dans lequel je ne peux pas, ni ne veux, m'immiscer).
Il va sans dire que je confie ce jeune et sa famille à vos prières !
Certes, ce n'est pas tous les jours que je croise de tels cas sur mon chemin de prof. Mais toi Maxime, pour qui je m'inquiète aujourd'hui, toi Céline, jamais oubliée, et les autres « chiens perdus sans collier », je vous souhaite de tout coeur de trouver comment être heureux, et avec qui !