Lors de notre dernière rencontre de février, nous aurions dû réfléchir au 3ème chapitre du livre de Philippe Merieu et d’Abdennour Bidar, Grandir en humanité. Je crois que personne n’avait vraiment eu le temps de le lire (ou très peu parmi nous)
Il a été question ce soir-là de l’instauration des groupes de niveau au collège. Il en sera sans doute encore question d'autres soirs…
Je viens de relire le chapitre 3 et je me rends compte que nous pouvions faire le lien entre ce qui y est écrit et ce que nous avons échangé. En effet, Philippe Meirieu parle de l’Ecole comme le lieu où l’élève n’est plus assigné et où il peut apprendre à créer du commun. C’est le sens de l’Ecole laïque. Comme nous l’avait dit Philippe Gaudin voilà quelques années : « Qui que tu sois, d’où que tu viennes, quelle que soit ta religion, sois le bienvenu dans ma classe ». Autrement dit : « Tu fais partie d’un autre ensemble, dans lequel il t’est proposé d’apprendre à réfléchir différemment grâce à la rencontre de l’autre ». Abdennour Bidar parle ensuite du « faire équipe », du « construire ensemble », déclinaison du propos de Philippe Meirieu sur le commun. Il évoque ses cours de philosophie (quand il était encore enseignant) durant lesquels la parole de l’élève était centrale et à partir de laquelle élèves et enseignant échangeait, débattait. Car cela s’apprend aussi le débat contradictoire, dans une société démocratique. D’autant plus aujourd’hui que notre vie numérique tend à nous enfermer dans des bulles. Une autre forme d’assignation en somme.
Mais revenons à nos groupes de niveau. Même si je veux bien croire que les élèves les plus faibles vont progresser grâce à la pédagogie de leurs enseignants, il me paraît en revanche évident que ces élèves vont se sentir assignés. Et cela aura nécessairement des conséquences sur leur motivation tant l’image et l’estime de soi, déjà altérées, seront encore plus dégradées. Et je ne parle même pas des élèves des groupes faibles dans les collèges relégués de notre territoire où, déjà, ils savent qu’ils ne sont pas au même niveau que d’autres. Cela, j’en ai fait l’expérience avec une classe de 5ème de décrocheurs : tout le monde a souffert toute l’année, élèves comme professeurs. Et « les bons » ? Vont-ils se complaire à être ceux qui réussissent toujours, qui réalisent de belles choses se projetant dès le plus jeune âge dans les logiques de classement de ParcourSup, oubliant au passage, qu’entre la 3ème et la 2nde, il y a d’abord Affelnet. Je pense que certains bons élèves sont aussi fragiles, n’ont pas toujours une bonne image d’eux-mêmes et se mettront la pression pour rester au top niveau, guettés par les autres qui attendent toujours leur faux-pas. Un de mes fils est ainsi : il a peur de se rater, mais cette peur est décuplée par les réactions bienveillantes de ses camarades dès qu’il fait moins bien.
Les études le montrent, TOUS les élèves gagnent à rester ensemble, quel que soit leur niveau. Parce que les pédagogues que nous sommes créent les dispositifs d’apprentissage qui leur permettent de faire ensemble, selon leur capacité, en toute sécurité et en développant des logiques d’entraide (qui, au passage, permettent aux « bons » de développer d’autres compétences : les compétences psycho-sociales, ici, la relation aux autres dans le tutorat de pair à pair).
On ne créera pas de commun en séparant les enfants, en les classant. On créera surtout des sentiments d’appartenance (subis) à un groupe (de niveau). On atomisera la micro-société qu’est le collège à l’image de notre société déjà morcelée. On ira ainsi à l’encontre de la mission de l’Ecole républicaine. L’élève sort de l’assignation à partir du moment où il fait l’expérience de l’altérité qui a lieu dans la classe, quand les élèves se parlent, dialoguent, construisent ensemble en étant accompagné du professeur qui forme des esprits libres.
Au chapitre 4 (celui du mois de notre réunion de mars), il est question de l’exigence des enseignants. Exigence envers les élèves, mais aussi exigence envers soi-même.
Dans les mots de Meirieu et de Bidar, il faut entendre l’exigence comme l’attention portée à chaque élève, en toute situation, ce qui réclame de fait, une exigence du maître envers lui-même. Par exemple, si j'écoute bien la réponse d'un élève, mais que je lui fais reformuler pour que la phrase soit plus intelligible pour les autres et pour que l'élève progresse dans le maniement de la langue, je suis exigeante envers lui mais cela me demande aussi une grande discipline. Outre la transmission de mes connaissances, je dois être habitée par le fait que, toujours, tout le monde doit bien s’exprimer pour être compris des autres. Alors que je pourrais me dire : « Tant pis, je vois ce qu’il veut dire, je réponds et j’enchaîne ». Cela nous arrive…
Dans ce chapitre, deux choses ressortent :
L’attention à l’élève et l’idée que, où qu’il en soit, je peux le faire grandir (c’est le postulat d’éducabilité qui revient souvent chez Philippe Meirieu) ;
La relation pédagogique avec les élèves, qui naît de notre énergie, et dont on ressort rempli d’énergie lorsque le cours a fonctionné et que l’on voit que les élèves ont grandi.
Nous qui sommes chrétiens, nous sommes sans doute très attentifs aux élèves (mais attention, nous n’avons pas l’exclusivité de cette qualité) et nous sommes portés par une énergie particulière (la foi, l’Esprit) qui donne sans doute une couleur différente aux relations que nous nouons avec nos élèves. Suscitons-nous plus d’adhésion ? Captivons-nous mieux les élèves ?
Essayons de retrouver dans nos souvenirs de cette semaine :
Un moment où notre posture a été celle de l’enseignant attentif (au sens de « celui qui tend vers une forme d’exigence »)
Une situation d’où nous sommes ressortis galvanisés parce qu’une énergie est née dans notre relation aux élèves, sans doute portés que nous étions par le Très-Haut.
Marianne